2. Louis Janmot (1814-1892) Poèmes de l'âme, Le passage des âmes
I-V Naissance et enfance de l'âme
( voir l'article Louis Janmot Génération Divine pour la présentation des poèmes de l'âme )
Louis Janmot (1814-1892) Le passage des âmes, musée des beaux-arts de Lyon
LE PASSAGE DES ÂMES
De l'Ange gardien la mission commence,
Dieu lui donne, il emporte en ses bras, endormi
Celui dont il sera le conseil et l'ami ;
Dans l'espace il s’élance.
Plus rapide en son vol que l'ouragan fougueux
Qui soulève les mers et tourmente les nues, plane hardiment, les ailes tendues,
Sur l’océan des cieux.
Il voit croître et s'enfuir par centaines de milles,
Planètes et soleils aux disques enflammés.
Que sur les îlots de l'air le Seigneur a semés
Comme d'immenses îles.
On dirait, à les voir, de rapides coursiers
Tout prêts à s'égarer dans les champs sans limite,
S'ils n'étaient, d'un bras fort, retenus dans l'orbite
Des célestes sentiers.
Astres qui gravitez, malgré l'ombre et le vide,
Vous devez moins que nous vous tromper de chemin,
Troupeau sans liberté, pouvez-vous fuir la main
Du pasteur qui vous guide?
L'esprit a salué leurs anges protecteurs,
Et ceux qui, comme lui, garderont sous leur aile
L'âme humaine, fardeau plus lourd et plus rebelle,
Et qui semblent rêveurs.
D'autres vont recueillant pleurs et cris de détresse
Que d'iniques pouvoirs bravent insolemment ;
Braveront-ils aussi du juge tout-puissant
La force vengeresse?
Voici le défilé, pâle et silencieux,
Des âmes que la mort de la terre délivre ;
De l'immense inconnu le redoutable livre
S'entr'ouvre sous leurs yeux.
Tremblantes, elles vont où leur ange les mènent
Les poussent quelquefois, vers le seul Tribunal
Qui sait juste la part et du bien et du mal
Qu enferme une âme humaine.
Sans erreur, sans appel, il va dicter leur sort
Elles semblent déjà le pressentir d'avance
A ce vol inégal comme leur espérance,
Au sortir de la mort.
Ainsi sous le ciel gris, dès que l'hiver arrive,
De nos champs désertés pour des climats meilleurs.
Nous voyons émigrer des oiseaux voyageurs
La troupe fugitive.
Quel est donc ce géant et ce vautour cruel
Qui lui ronge le cœur ?
En vain il le dépèce Sans cesse dévoré, le cœur renaît sans cesse
Pour souffrir immortel.
Tout autour, envieux de cette horrible proie,
Rôde un cercle hideux, groupe de noirs esprits ;
Dans leurs yeux sans rayons et sur leurs fronts proscrits
Passe un éclair de joie.
Esprit du mal, mystère où nul n'a vu le jour,
Que vous a donc: fait l'homme? lui suffit de naître ;
Vous êtes son tourment, son partage peut-être,
Son ennemi toujours.
L'ange poursuit encore, et la sombre atmosphère
S'emplit d'un bruit croissant de plaintives clameurs.
C'est le globe maudit, c'est le séjour des pleurs.
L'ange a touché la terre.