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peinture : une quête du vif. Quand je me rends compte de mes erreurs, j'aurais aimé me tromper sur le coup dans mes certitudes de sorte que ce que je pense être faux soit en réalité juste.

25 Jan

7 Louis Janmot (1814-1892) Poèmes de l'âme, Mauvais sentier

Publié par Becker Marie-Jeanne  - Catégories :  #Louis Janmot, #poèsie, #poèmes de l'âme, #XIXème siècle

le mauvais sentier
le mauvais sentier

VI-IX Education et périls

7 Louis Janmot (1814-1892) Mauvais sentier, Lyon, musée des beaux-arts

VII LE MAUVAIS SENTIER

LES ENFANTS

Que nous veulent, mon Dieu, cette vieille en colère et ces hommes vêtus de noir ? J'ai peur, car il me semble voir que de leurs yeux sur nous tombe un regard sévère.

LA VIEILLE — Enfants, d'où venez-vous? où courez-vous ainsi? Et qui vous a permis de passer près d'ici?

LES ENFANTS — Pitié pour la peine cruelle de deux pauvres enfants qui, depuis ce matin, loin de la maison paternelle, ne peuvent, dans la nuit, retrouver leur chemin !

LA VIELLE Ce n'est pas le côté par où ce chemin passe', au contraire, car plus on s'approche de nous, plus il est malaisé d'en retrouver la trace. Mais le cas est prévu par intérêt pour vous. Chez nous est votre place ; enfants, nul n'a licence sans notre bon plaisir de gravir ce sentier, dont chaque degré marque un pas dans la science. C'est un beau privilège et nous l'avons entier. Félicitez-vous donc de votre heureuse chance, car puisque tôt ou tard vous nous seriez rendus, il n'était rien de mieux que de prendre l'avance.

LES ENFANTS Mais, nous vous l'avons dit, nous nous sommes perdus.

LA VIEILLE Alors, contez-moi donc toute votre aventure.

LES ENFANTS Nous cherchions les champs, la verdure, ils étaient ce matin si beaux ; car l'orage avait de ses eaux ravivé leur fraîche parure. A peine aussi nos yeux ouverts virent-ils l'aube souriante qui chassait l'ombre décroissante sur l'émeraude des prés verts, nous franchîmes d'un pas rapide le verger clos de ses vieux murs, ramassant les fruits déjà mûrs épars sur le gazon humide. Le jour se levait, rallumant à sa lueur vive et rosée, dans chaque goutte de rosée. L'étoile éteinte au firmament. Mille fleurs fraîches et vermeilles paraient les plus humbles sentiers, et les oiseaux plus familiers oubliaient qu'ils avaient des ailes. Tout était chants, parfums, rayons. Échangés du ciel à la terre ; le front baigné dans la lumière, joyeux, en marchant, nous disions : chantez, matinale alouette, chantez votre douce chanson ; sur votre nid, dans le buisson, dormez en paix, pauvre fauvette ! A moitié cachés dans les blés, gais moissonneurs, liez vos gerbes : égarés dans les hautes herbes, troupeaux, mugissez ou bêlez ! Et nous marchions toujours ; et dans les cieux limpides l'ardent soleil montait. Les heures sans pitié avec lui s'enfuyaient; et leurs ailes rapides avaient de ce beau jour emporté la moitié. Nous cherchions dans les bois l'ombre partout absente. Sur la mousse où, lassés, nous vînmes nous asseoir, aux framboisiers de pourpre, à la fraise odorante, l'airelle mêlait son fruit noir. D'autres plantes sans nombre aux formes inconnues, nous montraient à l'envi leurs fleurs, leurs fruits nouveaux, et devant nous fuyaient les longues avenues qu'ombrage la forêt de ses mouvants arceaux. L'écureuil s'y jouait, sautant de branche en branche, de l'érable au fayard, des chênes aux bouleaux qu'on reconnaît au loin à leur écorce blanche, à travers les sombres rameaux. Vers un coin du ciel bleu, perçant la voûte obscure, les yeux fixés, du vent nous écoutions la voix qui s'approche et grandit, puis s'apaise et murmure, et va se perdre au loin dans le profond des bois ;et nous ne pensions plus que, des monts descendue, l'ombre à grands pas marchait vers le déclin du jour ; du sentier conducteur la trace était perdue, quand nous songeâmes au retour. L'aubépine piquante et le rosier sauvage. Entrelaçant leurs bras, nous barraient les chemins, et faisaient payer cher l'inutile passage à grand'peine frayé par nos sanglantes mains. Puis, quand la lune vint, à sa clarté mouvante si quelque arbre géant dressait son profil noir, d'un fantôme on eût dit la tête menaçante qui se penchait pour mieux nous voir. Pitié pour la peine cruelle de deux pauvres enfants, qui, depuis ce matin, de la demeure paternelle', ne peuvent dans la nuit retrouver le chemin.

LA VIEILLE Enfants, c'est bien, entrez, ces murs sont ma demeure. Où je tiens à la fois caserne et garnison. Défense d'en sortir avant d'atteindre l'heure où savamment guéri de toute illusion d'idéal et de foi qui séduit et qui leurre, nul ne croit plus à rien qu'à sa propre raison.

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peinture : une quête du vif. Quand je me rends compte de mes erreurs, j'aurais aimé me tromper sur le coup dans mes certitudes de sorte que ce que je pense être faux soit en réalité juste.