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peinture : une quête du vif. Quand je me rends compte de mes erreurs, j'aurais aimé me tromper sur le coup dans mes certitudes de sorte que ce que je pense être faux soit en réalité juste.

12 Dec

Jean Baptiste Greuze ( 1725-1805 ) Le paralytique ou La piété filiale 1763

Publié par Becker Marie-Jeanne  - Catégories :  #XVIIIème siècle, #Jean-Baptiste Greuze 1725-1805, #scène de genre

Jean-Baptiste Greuze, La Piété Filiale 1763 Saint-Pétersbourg Musée de l'Ermitage
Jean-Baptiste Greuze, La Piété Filiale 1763 Saint-Pétersbourg Musée de l'Ermitage

Jean Baptiste Greuze ( 1725-1805 ) Le paralytique ou La piété filiale 1763, huile sur toile, 115 x 146 cm, Saint Saint-Pétersbourg Ermitage

( dessin préparatoire J.B. Greuze, Le Paralytique soigné par sa famille, 1761, dessin, Le Havre, Musée d'André Maîraux )

Sensibilité et bonnes mœurs domestiques

Avec sa peinture Le Paralytique de 1763, Jean-Baptiste Greuze ( 1725-1805 ) comme avec d'autres scènes de genre acquiert une renommée au Salon, ainsi c'est l'un des artistes de son époque le plus commenté, notamment par Denis Diderot ( 1713-1784 ) écrivain et critique d'art. Il lui écrit au sujet de sa popularité " La foule est continuellement autour de ton tableau, il faut que j'attende mon tour pour approcher." Le tableau conservé aujourd'hui à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg a été vendu à l'époque à l'impératrice de Russie, Catherine II par l'intermédiaire de l'écrivain français Diderot. C'est une femme cultivée, proche des intellectuels et protectrice des arts, que l'on qualifie rétrospectivement de monarque éclairé; elle détenait une grande collection de tableaux hollandais, aujourd'hui exposés au musée de l'Ermitage.

Le peintre arrivé à Paris en 1750, réussi à se démarquer de son maître de l'Académie royale de peintre et de sculpture, Charles-Joseph Natoire en étudiant notamment les modèles hollandais du XVIIème siècle, il éleva ses scènes de genre de grand format parmi les grandes œuvres de Salon en France.

Un lien fort rattache Denis Diderot et Jean-Baptiste Greuze, notamment la représentation théâtrale des moeurs. Au XVIIIème siècle Diderot pose les bases du drame bourgeois, il rédige Le Fils naturel en 1757 et Le Père de famille un an plus tard. Dans ses scènes de genre les sujets des toiles de Greuze , expriment des inspirations similaires; une intrigue se déroule au sein d'une famille et fait appelle au sentiments exacerbés de ces drames privés, par empathie le spectateur accède à une dimension moraliste des œuvres. Cependant c'est par la peinture faite d'images immobiles et muettes sur une surface plane que Greuze dépeint fictivement des évènements de vie de famille.

( voir aussi le dessin préparatoire J.B. Greuze, Le Paralytique soigné par sa famille, 1761, dessin, Le Havre, Musée d'André Maîraux )

Denis Diderot, Salon 1763 commentaire sur La piété filiale de Jean-Baptiste Greuze

C'est vraiment là mon homme que ce Greuze. Oubliant pour un moment ses petites compositions qui me fourniront des choses agréables à lui dire, j'en viens tout de suite à son tableau de la Piété Filiale, qu'on intitulerait mieux, De la récompense de la bonne éducation donnée.

D'abord le genre me plaît. C'est peinture morale; Quoi donc, le pinceau, n'a-t-il pas été assez et trop longtemps consacré à la débauche et au vice? Ne devons-nous pas être satisfaits de le voir concourir enfin avec poésie dramaturge à nous toucher, à nous instruire, à nous corriger et à nous inviter à la vertu? Courage, mon ami Greuze! Fais de la morale en peinture, et fais-en toujours comme cela. Lorsque tu seras au moment de quitter la vie, il n'y aura aucune de tes compositions que tu ne puisses te rappeler avec plaisir.

Que n'étais-tu à côté de cette jeune fille qui regardant la tête de ton paralytique, s'écria avec vivacité charmante : Ah mon Dieu, comme il me touche, mais si je la regarde encore, je crois que je vais pleurer; et que cette jeune fille n'était-elle la mienne! Je l'aurais reconnue à ce mouvement. Lorsque je vis ce vieillard éloquent et pathétique, je sentis, comme elle, mon âme s'attendrir et des pleurs prêts à tomber de mes yeux.

Le tableau de la Piété Filiale à quatre pieds six pouces de long sur trois pieds de haut.

Le principal personnage, celui qui occupe le milieu de la scène, et qui fixe l'attention est un vieillard paralytique, étendu dans son fauteuil, la tête appuyée sur un traversin et les pieds sur un tabouret. Il est habillé. Ses jambes malades sont enveloppées d'une couverture. Il est entouré de ses enfants et de ses petits-enfants, la plupart empressés à le servir. Sa belle tête est d'un caractère si touchant; il paraît si sensible aux services qu'on lui rend; il a tant de peine à parler, sa voix est si faible, ses regards si tendres, son teint si pâle, qu'il faut être sans entrailles pour ne les pas sentir remuer.

A sa droite une de ses filles est occupée à relever sa tête et son traversin.

Devant lui, du même côté, son gendre vient lui présenter des aliments. Ce gendre écoute ce que son beau-père lui dit, et il a l'air tout fait touché.

A gauche de l'autre côté, un jeune garçon lui apporte à boire. Il faut voir la douleur et toute la figure de celui-ci. Sa peine n'est pas seulement sur son visage; elle est dans ses jambes, elle est partout.

De derrière le fauteuil du vieillard sont une petite tête d'enfant. Il s'avance; il voudrait bien aussi entendre son grand-papa; le voir et le servir; les enfants sont officieux. On voit ses petits doigts posés sur le haut du fauteuil.

Un autre plus âgé est à ses pieds et réarrange la couverture ? Devant lui, un tout à fait jeune s'est glissé entre lui et son gendre, et lui présente un chardonneret. Comme il tient l'oiseau! Comme il l'offre! Il croit que cela va guérir le grand-papa.

Plus loin, à la droite du vieillard est sa fille mariée. Elle écoute avec joie ce que son père dit à son mari. Elle est assise sur un tabouret; elle a la tête appuyée sur sa main. Elle a sur ses genoux l'Ecriture Sainte. Elle a suspendu la lecture qu'elle faisait au bonhomme.

A côté de la fille est sa mère et l'épouse du paralytique. Elle est aussi assise sur une chaise de paille. Elle recousait une chemise. Je suis sûre qu'elle a l'ouïe dure. Elle a cessé son ouvrage, et elle avance de côté se tête pour entendre.

De même côté, tout à fait à l'extrémité du tableau, une servante qui était à ses fonction, prête aussi l'oreille. Tout est rapporté au principal personnage et ce qu'on fait dans le moment présent et ce qu'on faisait dans le moment précédent.

Il n'y a pas jusqu'au fond qui ne rappelle les soins qu'on prend du vieillard. C'est un grand drap suspendu sur une corde et qui sèche. Ce drap est très bien imaginé et pour le sujet du tableau, et pour l'effet de l'art. On se doute bien que le peintre n'a pas manqué de le peindre largement. Chacun ici a précisément le degré d'intérêt qui convient à l'âge et au caractère. Le nombre des personnages rassemblés dans un assez petit espace est fort quand; cependant ils y sont sans confusion, car ce maître excelle surtout à ordonner sa scène. L a couleurs des chairs est vraie. Les étoffes sont bien soignées. Point de gêne dans les mouvement. Chacun est à ce qu'il fait. Les enfants les plus jeunes sont gais, parce qu'ils ne sont pas encore dans l'âge où l'on sait. La commisération s'annonce fortement dans les plus grands. Le gendre paraît le plus touché, parce que c'est à lui que le malade adresse ses discours et ses regards. La fille mariée paraît écouter plutôt avec plaisir qu'avec douleur. L'intérêt est sinon éteint, du moins presque insensible dans la vielle mère; et cela est tout à fait dans la nature Jam proximus ardet Ucalegon ( " Déjà prend feu la maison 'Ucalégon toute proche " ). Elle ne peut plus se promettre d'autre consolation que la même tendresse de la part de ses enfants, pour un temps qui n'est pas loin. Et puis, l'âge qui endurcit les fibres, desséché l'âme.

Il ya qui disent que le paralytique est trop renversé, et qu'il est impossible de manger en cette position. Il ne mange en cette position. Il ne mange pas, il parle, et l'on est prêt à lui relever la tête.

Que c'était à sa fille à lui présenter à manger, et à son gendre à relever sa tête de son traversin, parce que l'on demande de l'adresse, et l'autre de la force. Cette observation n'est pas si fondée qu'elle le paraît d'abord. Le peintre a voulu que son paralytique reçut un secours manqué de celui de qui il était le moins en droit de l'attendre. Cela justifie le bon choix qu'il a fait pour sa fille; c'est la vraie cause de l'attendrissement de son visage, de son regard et du discours qu'il lui tient. Déplacer ce personnage, c'eût été changer le sujet du tableau. Mettre la fille à la place du gendre, c'eût été renverser toute la composition : il y aurait eu quatre têtes de femme de suite, et l'enfilade de toutes ces têtes aurait été insupportable.

Ils disent aussi que cette attention de tous les personnages n'est pas naturelle; qu'il fallait en occuper quelques-uns du bonhomme, et laisser les autres à leurs fonctions et plus vraie, et que c'est ainsi que la chose s'est passée, qu'ils en sont surs...

Ces gens-là "faciunt ut nimis intelligendo nihil intelligent." Le moment qu'ils demandent est un moment commun, sans intérêt; celui que le peintre a choisi, est particulier. Par hasard il arriva ce jour-là que ce fut son gendre qui lui apporta des aliments, et le bonhomme touché lui en témoigne sa gratitude d'une manière si vive, si pénétrée qu'elle suspendit les occupations et fixa l'attention de toute la famille.

On dit encore que le vieillard est moribond, et qu'il a le visage d'un agonisant... Le docteur Gattidit que ces critiques-là n'ont jamais vu de malades, et que celui-ci a bien encore trois ans à vivre.

Que sa fille mariée, qui suspend la lecture, manque d'expression, on n'a pas celle qu'elle devrait avoir... Je suis un peu de cet avis.

Que les bras de cette figure d'ailleurs charmante, sont roides, secs, mal peints et sans détails... Oh pour cela , rien n'est plus vrai.

Que le traversin est tout neuf, et qu'il serait plus naturel qu'il eût déjà servi... Cela se peut. Que cet artiste est sans fécondité; et que toutes les têtes de cette scène sont les mêmes que celles de son tableau des Fiançailles, et celles de ses Fiançailles les mêmes que celles de son Paysan qui fait la lecture à ses enfant... D'accord, mais si le peintre l'a voulu ainsi? S'il a suivi l'histoire de la même famille?

Que mille diables emportent les critiques et moi tout le premier! Ce tableau est beau et très beau, et malheur à celui qui peut le considérer un moment de sang-froid! Le caractère du vieillard est unique; le caractère du gendre, unique; l'enfant qui apporte à boire, unique. La vieille femme, unique. De quelque côté qu'on porte ses yeux, on est enchanté. Le fond, les couvertures, les vêtements sont du plus grand fini; et puis cet homme dessine comme un ange. Sa couleur est belle et forte, quoique ce ne soit pas encore celle de Chardin pourtant. Encore une fois ce tableau est beau,. Aussi appelle-t-il les spectateurs en foule; on ne peut en approche. On le voit avec transport et quand on le revoit, on trouve qu'on avait eu raison d'en être transporté.

Il serait bien surprenant que cet artiste n'excellât pas. Il a de l'esprit et de la sensibilité. Il est enthousiaste de son art; il fait des études sans fin. Il n'épargne ni soin, ni dépense pour avoir les modèles qui lui conviennent. Rencontre-t-il une tête, qui le frappe, il se mettrait volontiers aux genoux du porteur de cette tête pour l'attirer dans son atelier. Il est sans cesse observateur dans les rues, dans les églises, dans les marchés, dans les spectacles, dans les promenades, dans les assemblées publique. Médite-t-il un sujet il en est obsédé suivi partout. Son caractère même s'en ressent. Il prend celui de son tableau; il est brusque, doux, insinuant, caustique, galant, triste, gai, froide, chaud, sérieux ou fou, selon le chose qu'il projette.

Outre le génie de son art qu'on ne lui refuse pas, on voit encore qu'il est spirituel dans le choix et la convenance des accessoires.

Dans le tableau du Paysan qui lit l'Ecriture sainte à sa famille, il avait placé dans un coin à terre, un petit enfant qui pour se désennuyer, faisait les cornes à un chien. Dans ses Fiançailles, il avait amené une poule avec toute sa couvée. Dans celui-ci, il a placé à côté du garçon qui apporte à boire à son père infirme, une grosse chienne debout qui a le nez en l'air, et que ses chiots tètent toute droite; sans parles de ce drap qu'il a étendu sur une corde, et qui fait le fond de son tableau.

On lui reprochait de peindre un peu gris; il s'est bien corrigé de ce défaut. Quoi qu'on se dise, Greuze est mon peintre.

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